lundi 6 octobre 2014

Un Intérêt Particulier Pour Les Morts - Ann GRANGER

Un Policier dont les Anglais gardent jalousement le secret.


Patricia Ann GRANGER – Un nom qui fait de plus en plus parler de lui sur le Continent avec le succès international des aventures de Lizzie Martin, dont le livre présenté constitue le premier volet.

Au moment où mes yeux se posèrent sur la première de couverture, l’affaire était conclue. Comment résister à la finesse de l’illustration et à cette accroche à la fois cinglante et circonspecte. Un professionnalisme graphique propre à la collection « Grands Détectives »  10/18 de M. Zylberstein. Car tout n’est en réalité qu’histoire de séduction, d’autant plus en matière de littérature où, à mon grand regret, l’attention et le soin apportés à cette « vitrine » sont souvent négligés.

Les appréciations esthétiques mises à part, il est temps de nous munir de nos deerstalkers et de nos loupes et d’aller glaner quelques indices au dos de cet ouvrage qui se veut bien mystérieux.


***

« Londres, 1864. Lizzie Martin accepte un emploi auprès d’une riche veuve dont la précédente dame de compagnie s’est enfuie avec un inconnu. Mais quand le corps de la jeune fille est retrouvé dans le chantier de la gare de St Pancras, Lizzie décide de mener sa propre enquête. Elle pourra compter sur l’aide d’un ami d’enfance devenu inspecteur, Benjamin Ross, pour découvrir la vérité sur la mort de cette femme… dont le sort semble étroitement lié au sien ».

Tous les ingrédients sont réunis : un cadre victorien idyllique, une aristocratie bouffie d’hypocrisie sur fond de misère sociale… et le plus relevé de tous, un détective tenace grimé sous les traits d’une jeune provinciale à la curiosité exacerbée.

L’intrigue se lance rapidement avec l’arrivée, quelque peu chaotique, de notre héroïne sur le sol londonien et le périple du lecteur avec. La narration interne employée par l’auteure et la justesse de la description psychologique de Lizzie ont pour effet de nous transporter directement en ses lieux et place. On perçoit au fil des pages le travail constant et maitrisé de l’écrivain, le rythme, sans être soutenu, connait une progression régulière et l’investigation s’étoffe avec délice. Le Cluedo pose subtilement, non sans quelque ironie, ses fondations et notre désir de croiser le fer avec l’instigateur de cette fresque macabre va grandissant.

Aussi captivante que fût l’expérience Lizzie Martin et malgré un sens aigu des codes du genre, on pourrait cependant regretter les détours empruntés pour mettre en scène le personnage, moins charismatique de Benjamin Ross, qui partage pourtant l’affiche avec notre enquêtrice en herbe, plus lourds et maladroits.

Reste que cette charmante série promet de bons moments de détente.



Note : 3,5/5

lundi 16 juin 2014

Métamorphose en Bord de Ciel - Mathias Malzieu

Rencontre Avec un Déplumé à Succès


Ex -Compagnon de notre jolie et pimentée Olivia (merci à Roxou pour l'info), figure incontournable du groupe de rock français Dionysos, Mathias Malzieu est un véritable touche à tout.
Après une carrière avortée dans le tennis et des études de cinéma, il s’illustre depuis quelques années dans le rôle d’auteur décalé.
Pour illustration, La Mécanique du Cœur, ouvrage surréaliste aux allures de conte burtonien, et adapté depuis peu sur le grand écran.
Une des grandes particularités qui me font apprécier cet auteur réside dans cette transposition de l’œuvre romanesque aux textes musicaux…
Ses histoires ne connaissent pas de barrières liées aux différents genres artistiques, tout n’est que continuité du rêve.

Le Perchoir Aux Mille Possibles


Métamorphose en bord de ciel est paru aux éditions Flammarion en 2011 pour la première fois puis en format de poche en 2012 aux éditions J’ai lu, ce qui vous permettra de vous offrir cette petite pause de douceur d’une centaine de pages pour la modique somme de 5,60 Euros.
Tom Cloudman a toujours rêvé de voler, il en est devenu le plus mauvais cascadeur du monde.
_Ses performances de voltige se terminent invariablement au sol.
Au moment où on décèle chez lui une maladie incurable, Tom rencontre une étrange créature mi-femme, mi-oiseau, qui lui propose ce pacte : « Je peux vous transformer en oiseau, ce qui vous sauverait, mais cela n’est pas sans conséquence… »._
Avec ce titre Mathias Malzieu persiste et signe en affirmant toujours un peu plus son univers burlesque et merveilleux.
On parcourt ses lignes avec un regard d’enfant émerveillé et ses mots s’impriment dans nos esprits comme des promesses d’horizons qu’ils nous étaient inimaginables d’entrevoir à nouveau.
Qui n'a jamais souhaité s'envoyer dans les airs pour quelques numéros de haute voltige ?

Le Temps d'un Battement d'Ailes

Sa recette : Un style poétique et onirique flirtant avec le monde de l’absurde si cher à d’autres grands auteurs français, l’œuvre et l’écriture de Mathias Malzieu n’est pas sans rappeler de temps à autre le génie de Boris Vian.
L’identification du lecteur aux personnages est évidente, pas de place ici pour les supers héros mais seulement à ceux qui, portés par leurs rêves les plus fous et une soif de vivre incommensurable, finissent par en revêtir justement l’étoffe.
Se dégagent des liens ficelés tout au long de l’intrigue une sensualité savoureuse et une vérité désarmante malgré les obstacles dont est jonchée la vie réelle s’il en est une.
Mathias Malzieu joue davantage avec la psychologie de ses pantins qu'avec les péripéties qu'ils rencontrent.
Si l'intrigue reste bien ficelée et qu'on ne s'ennuie pas, reste qu'il est difficile de transposer à l'écrit l'impression que l'ouvrage nous laisse tant sa réalité nous échappe, raison pour laquelle je prends le parti ici de ne pas vous en mettre des tartines qui risqueraient d'être superflues.
Un conte délirant et évanescent à savourer sans modération qui s’inscrit dans la lignée des précédents et est à la hauteur de nos attentes.


Note: 4/5

mercredi 4 juin 2014

Le Chuchoteur - Donato CARRISI



Après une absence de plusieurs mois, j’entrouvre ici une parenthèse littéraire, témoin d’une rencontre hors du commun avec un virtuose du thriller italien, Donato CARRISI, dont le patronyme n’échappera certainement pas aux amateurs du genre et qui m’a complètement envoûtée.

Né en 1973, Donato CARRISI, a toujours été baigné dans l’univers des sciences criminelles et comportementales.
Auteur d’une thèse sur Luigi Chiatti, le « Monstre de Foligno », un tueur en série italien, et journaliste de formation, s’est tout naturellement qu’il se tourna vers l’exercice complexe de l’écriture noire.
Mon baptême carrisien fut consacré avec l’un de ses petits joyaux, Le Chuchoteur, Prix des lecteurs policiers 2011 et Prix SCNF du polar européenn, véritable best-seller paru en 2009 chez LGF et 2010 chez Calmann Levy.
Une entrée en matière captivante et bouleversante à laquelle l’auteur, d’après de récentes informations, a décidé, plusieurs années après, de donner suite avec L’Ecorchée ( voire plus si affinités ).


Dieu Se Tait, Le Diable Murmure ...

Avec Le Chuchoteur, les promesses intrigantes de suspense et d’angoisse sont tenues dès la première de couverture avec une illustration aussi douce et innocente que dérangeante, le portrait figé d’une poupée de porcelaine au regard impénétrable, témoin ou complice du secret pesant que renferme l’œuvre .
« Cinq petites filles ont disparu. Cinq petites fosses ont été creusées dans la clairière. Au fond de chacune, un petit bras, le gauche. Depuis le début de l’enquête, le criminologue Goran Gavila et son équipe ont l’impression d’être manipulés.
Chaque découverte macabre les oriente vers un assassin différent.
Lorsqu’ils découvrent un sixième bras, appartenant à une victime inconnue, ils appellent en renfort Mila Vasquez, experte en affaire d’enlèvement.
Dans le huis clos d’un appartement, Gavila et ses agents vont échafauder une théorie à laquelle nul ne veut croire ».

 Un Jeu de Piste Diabolique


L’auteur nous met d’entrée de jeu dans le bain, avec la découverte de la scène de crime en premier plan. 
Une démarche qui a mon sens a l’intelligence de ne pas nous ennuyer ou nous empêtrer dès le début dans des détails suffocants concernant la psychologie des personnages.
Aucun répit n’est laissé au lecteur, donc, qui se trouve soudainement submergé par l’horreur de la fresque, une véritable « hydrocution ».
Et c’est parti pour 570 pages de véritable chasse au trésor macabre aux arrières goûts de règlement de comptes, un labyrinthe pervers et fascinant dans lequel on finit par perdre le fil de ses investigations et parfois même laisser une brèche ouverte dans notre subconscient permettant ainsi à l’auteur et son « chuchoteur » de pénétrer notre esprit et notre échelle de valeurs.
On a très vite le sentiment que chaque épisode a été réduit à sa portion congrue, que l’auteur n’a sans doute pas hésité à faire le sacrifice de passages délayés qui auraient pu porter préjudice à son œuvre, mais accroître considérablement son chiffre d’affaires.
Le travail est digne de celui d’un orfèvre, impressionnant. 
Les rebondissements ne se font pas attendre et nous assaillent de toute part : on finit par craindre à la mi-lecture que CARRISI n’est plus rien à donner à la fin du livre tellement la construction de l’intrigue est nourrie.
La signature d’un grand esprit qui a à cœur d’offrir le meilleur de lui.
Les clés du mystère sont éparpillées un peu partout, reste au lecteur de savoir y prêter une grande attention et de déjouer les pièges. 
On se laisse littéralement capté par le « ventre du monstre ».
La force de cette fresque réside également dans un travail de fouille documentaire minutieux basé la plupart du temps sur des affaires réelles (études FBI en partie) et les récentes découvertes faites en criminologie qui ne font que renforcer la crédibilité du roman et sublimer l’imagination dont l’auteur fait montre.
Comme prend le temps de nous l’expliquer Donato CARRISI, le Chuchoteur est un profil de tueur en série sui generis, c’est-à-dire, n’empruntant à aucune autre catégorie déjà répertoriée.
Son génie réside dans sa capacité à investir l’esprit d’un tiers et d’y déposer des besoins, des désirs souvent obscènes et en contradiction parfaite avec les valeurs et la morale du sujet.
Ainsi, difficile de démontrer son implication directe dans les massacres programmés.
La morale du livre nous pousse à nous méfier de nous mêmes plus que des personnages qui composent l'intrigue, de nos limites et de nos certitudes quant au passage à l'acte.

Bonne Embarcation Moussaillon !

Note : 5/5

mercredi 2 avril 2014

Le Journal de Louise B. - Jean VAUTRIN


A l’origine photographe, cinéaste et scénariste sous le nom de Jean HERMAN, Jean VAUTRIN fait ses premiers pas littéraires avec des romans policiers. Rapidement, sa langue généreuse et inventive est reconnue et l’amène naturellement vers le Prix Goncourt 1989 avec son œuvre « Un Grand Pas Vers le Bon Dieu ». 

Livre après livre, avec beaucoup de souffle, il explore aujourd’hui la double veine du roman feuilletonesque et du roman noir.

L’auteur prend le genre policier très au sérieux en dévoilant toute l’ampleur de ses ressources. Porté par un verbe et un style forts, il devient l’instrument d’une bouleversante critique sociale.


Un écrivain prolifique (roman, nouvelle), souvent sous estimé car retiré dans sa campagne bordelaise loin des projecteurs mondains.

***

« Dans les environs d’Auxerre, en pleine campagne française, une jeune professeur d’anglais, Louise Anarcange, est violée par six de ses élèves après une fête de fin d’année où elle était conviée.
Louise, fille unique, fille modèle, a connu la souffrance d’une éducation stricte.
Son père, le Dr Anarcange, l’a protégée et peut être trop aimée. La question de l’inceste, subtilement omniprésente, explique peut être qu’à trente et un ans elle soit toujours vierge. Après le viol, Louise, qui a tout endossé jusqu’alors, explose littéralement.

Muette martyre, Louise Anarcange se transforme en Louise B., serial killeuse, double cynique et destructeur, sa « droite parallèle », qui baise et boit comme une fille perdue. Louise B., qui exercera sa vengeance contre les hommes. C’est le début d’une série de meurtres. Les héros de ce roman montrent que la frontière entre le Bien et le Mal demeure plus floue que jamais.

Louise est à la fois l’enfant cloitrée, la femme aux désirs refoulés, la victime et l’assassin, l’ange exterminateur. »


Dès le début de l’ouvrage, VAUTRIN annonce la couleur en citant BAUDELAIRE, « Ah Seigneur ! Donnez-moi la force et le courage de contempler mon cœur et mon corps sans dégoût » et O’CONNOR, « Et ce sont les violents qui l’emportent »… une capitulation devant le Mal ? Nous sommes prévenus et entrevoyions déjà l’atmosphère peu rassurante et chaleureuse des sentiers à emprunter.

Chaque chapitre est introduit par une phrase d’accroche personnelle à l’auteur. L’ingéniosité du procédé réside dans le fait qu’une fois lue, vous ne pouvez vous refuser de dévorer les lignes qui se profilent. A l’aide d’une pointe d’acidité, VAUTRIN pique nos nerfs à vif, chatouille une curiosité voyeuse et malsaine.

Ex : « Une fille toujours se fait dévorer par la bouche »

Il joue des mots à la façon d’un virtuose, tantôt en adoptant un style puissant et cru, frappe sans relâche les notes, tantôt en se lovant dans la douceur d’une poésie bourgeonnante, du bout des doigts caresse son clavier. A travers cet habile langage, il s’efforce de révéler la lourdeur du chaos que renferment les cœurs et les esprits.

« J’avais envie de m’égarer dans les méandres du cerveau du femme meurtrie. Je voulais un livre bleu, cette couleur étrange qui gomme les formes, créé du mystère. Avec Louise B.(leue), on traverse une zone onirique incontrôlable. Elle sombre, mais nous sommes les rescapés du naufrage d’une société chaotique. J’aime ce mot, chaos. Il définit bien notre époque, installée au seuil d’une nouvelle barbarie ».

Étonnamment le thème du viol en réunion ne semble pas intéresser le romancier, il se focalise exclusivement sur la psychologie de son personnage. Il veut dire le corps souillé, la peau brûlée à vif, l’esprit dévasté et revanchard. Dans cette noirceur, reste l’espoir d’un monde plus juste.

Un roman porté par une écriture d’une rare puissance, bouleversant de franchise. Inquiétant par la rudesse du langage employé ou encore par la position dans laquelle le lecteur se retrouve ; il assiste et se substitue aux souffrances et jouissances de l’héroïne, un travail de transposition fort déroutant.

On a mal pour elle, on s’essouffle avec elle, on La devient entièrement, on l’usurpe.

Je pense sincèrement que ce livre rendrait fou l’Ignoble, l’Innommable qui aurait eu le mauvais goût de perpétrer de tels actes, et qu’il réconforterait peut être les nombreuses victimes de ces ignominies en ce qu’elles trouveront sans doute là une voix qui les a comprises.


« Elle est dans le noir. Elle entrevoit les flammes de l’enfer. Elle a envie d’un corps neuf.
   Elle sait qu’à jamais elle n’aura de ressource que dans la révolte
 ».


Note : 4,5/5

mardi 1 avril 2014

La Femme Parfaite Est Une Connasse ! - Anne-Sophie & Marie-Aldine GIRARD

Une petite parenthèse légère pour ouvrir la saison printanière en douceur et avec humour.

Vous n’avez pu ignorer ce petit recueil de survie dédiée principalement à la gente féminine jonchant les étalages des librairies, et encore moins son titre tape à l’œil, véritable opération marketing à lui tout seul. 

Une plaidoirie à Quatre Mains


Et quoi de mieux qu’un duo gémellaire pour concocter un petit traité 95% girly.
L’une est humoriste, l’autre journaliste. Avec La Femme Parfaite Est Une Connasse, elles ont décidé à mettre en commun leurs connaissances accumulées à l’occasion d’un long travail de recherche, d’enquêtes approfondies et d’apéros entre copines … très scientifique et sociologique tout çà !

Une Ambition Malmenée


Extrait d’une préface enflammée :

« Les Jumelles GIRARD, par cet ouvrage, vont véritablement apporter quelque chose à la société. Car sous l’apparence légèreté de leur sommaire, c’est à l’essentiel que l’on touche ici. Parce que s’accepter imparfaite, c’est s’approcher de la plénitude.

C’est remercier toutes ces femmes qui ont lutté pour nos droits et prolonger leur œuvre avec audace et sincérité. C’est admettre qu’il y a parfois autant d’enjeux dans la rédaction d’un texto que dans celui d’un message de paix adressé au monde. Croyez-moi, ce livre est un premier pas vers une vie meilleure. »


Un Traité pour changer la face du monde ? Je reste un peu perplexe ; un petit moment de détente agréable ? Certainement. Quant au plaidoyer en faveur de la cause féminine, l’humour emprunt d’un soupçon de misogynie, laisse peu de place à la thèse.

Si les deux auteures n’ont pas eu la prétention de vouloir changer nos vies, le rendu sonne finalement assez creux.

Il n’en reste pas moins que le recueil est très divertissant, et qu’il n’est pas raisonnable selon moi d’essayer de gratter le vernis ou de lui faire dire plus qu’il n’y est écrit sous peine de passer à côté d’un moment agréable « entre copines ».
D’ailleurs, la mise en page elle-même se veut ludique et décomplexée (test, quizz, bons à tirer…etc).

La morale de l’histoire est clairement affichée : Etre Imparfaite et S’assumer Comme Telle et Savoir se Démarquer !
Ne plus se cacher derrière des mannequins cadavériques ou des diktats pour mégères apprivoisées.

Une lecture tampon comme je me plais à appeler ces petites bouffées d’oxygène qui vous permettre de reprendre votre souffle et vos esprits entre deux lectures tourmentées, aussi vaporeuses que nécessaires.

Exemples :

- " La théorie du pot de cacahuètes : Lors de l’apéritif, le pot de cacahuètes doit impérativement être disposé à une distance de plus de 80 cm, afin d’éviter toute tentation ! "

- " On arrêtera de montrer à notre coiffeur la photo d’une mannequin blonde aux cheveux bouclés alors qu’on est brune aux cheveux filasse. "



Note : 2,5/5

Critique de L'Anxiété Pure - Fred VARGAS



Je doutes que ce nom vous soit étranger, lecteur ou simple téléspectateur, les tribulations de l'inspecteur chef Adamsberg et de ses homologues européens n'ont pas cessées de courir nos tympans et nos mirettes ces dernières années.


Néanmoins, au risque de me répéter une énième fois, je tiens à rappeler à notre auditoire qu'il est toujours de bon ton de sortir de son chapeau quelques petits détails utiles avant de se lancer dans un monologue savant à l'occasion d'un dîner entre amis ou encore du rixe verbale et culturelle avec votre ennemi juré et de vous couvrir de ridicule : 


" Non, Fred VARGAS ne présente pas les attributs de la gente masculine, il ne s'agit là que d'un simple pseudonyme derrière lequel se cache une épatante archéologue et écrivaine nommée … Frédérique AUDOUIN-ROUZEAU."


Petit plaisir égocentrique et narcissique en bonne groupie de notre Grande Dame du Rompol , je me suis fait un devoir de peaufiner ma collection vargasienne avec deux ou trois petits traités qui avaient eu jusqu'alors l'audace de me filer entre les doigts.
Plus de peur que de mal, c'est à présent une affaire réglée avec la présentation de ce petit recueil dédié aux neurasthéniques qui sommeillent en nous et intitulé « Critique de l'anxiété pure ».


L'auteur mise sur son imprévisibilité car en effet, difficile de l'attendre à l'endroit même où cette maîtresse du grand frisson nous asphyxie d'angoisse à coups de savoureux romans policiers. 

La promesse de l’œuvre est simple mais pas sans prétention et l'entreprise complexe : Nous désinhiber, nous lester de nos tracas quotidiens et de nos peurs les plus perverses en 125 pages et tout cela pour la modique somme de trois euros (Editions Librio).


Reste qu'à la lecture des premières pages, les préludes de cette thérapie de groupe paraissent interminables et peu engageants et le style aussi lourd que remarquable.
VARGAS me laisse une légère amertume en bouche, un sentiment désagréable et soporifique de s'écouter parler (et oui malgré mon admiration certaine pour son talent, je ne me laisserai pas aveugler par quelques courbettes stylistiques).


Le tiers du livre ingurgité sans grand enthousiasme, je ne peux cependant me résoudre à en finir au plus vite et abandonner, cette plume vibrante et cette imaginaire bouleversant ne peuvent être des leurres, je persistes et signes. Grand bien m'en a pris, puisque passé ce récif de corail, je largues enfin mon scepticisme à quai et me laisses embarquer pour une dérive longue de plusieurs minutes au pays des hypothèses farfelues, des métaphores abracadabrantesques. 

Progressivement et subversivement, VARGAS nous entraîne sur les rives désertées depuis trop longtemps de notre inconscient et de nos épanchements passés sous silence... pour finalement nous alléger le corps et l'esprit le temps d'une … mais je ne vous en dit pas plus, à savoir pour vous si la recette « miracle » prendra !




Note : 3/5

samedi 22 mars 2014

Pig Island - Mo HAYDER

Une Pétroleuse Subversive et Talentueuse


Fille d’universitaires anglais, cette plume tranchante prend son envol dès son plus jeune âge, à 16 ans, où elle quitte brutalement sa famille pour se confronter à la vie active et partir à la découverte du monde. Attirée par le cinéma d’animation, elle s’installe à Los Angeles pour y entreprendre des études de cinéma.

De retour au bercail, elle décide alors de se consacrer à l’écriture. Elle fréquente les milieux policiers, les médecins légistes, ce qui lui permet rapidement d’avoir le terreau nécessaire pour accoucher de son premier roman Birdman qui fera une entrée fracassante dans le monde élitiste du thriller. Suivront, en 2002, L’homme du soir, en 2005 Tokyo (lauréat du Prix SNCF du Polar européen et du Prix des lectrices de ELLE), Pig Island en 2007 et Rituel en 2008.


Trois Petits Cochons…


Joe Oakes est journaliste et gagne sa vie en démystifiant les prétendus phénomènes paranormaux. En débarquant sur Pig Island, îlot perdu au large de l’Ecosse, il est fermement décide de vérifier si la trentaine d’allumés qui y vivent en vase clos vénèrent le diable comme les en accusent les gens de la côte.

Et, surtout, il veut tordre le cou au mythe du monstre qui aurait élu domicile sur l’île, une mystérieuse créature filmée deux ans plus tôt par un touriste à moitié ivre.

Mais rien, strictement rien ne se passe comme prévu. Joe est confronté à des évènements si atroces qu’ils bouleversent à jamais son idée de la peur et du mal…


Dans Le Cochon, Tout est Bon !


Une amorce plutôt alléchante pour les fanatiques de grands frissons mêlant pratiques obscures, mystères sectaires et fantastiques.

Le décor planté et les ingrédients idéalement sélectionnés, reste à savoir si le résultat sera à la hauteur des promesses annoncées.

Et le moins que l’on puisse dire c’est que Mo Hayder à l’art de vous transporter dans son univers dès les premières lignes en prenant soin de donner ce qu’il faut de structure et d’épaisseur à ses personnages et l’univers dans lequel ils évoluent pour nous propulser sur l’île de Pig Island et nous improviser le temps de plusieurs centaines de pages traqueurs de secrets à la limite de l’obscénité.

Au fil de notre lecture on se rend très vite compte qu’il eu été imprudent de sous estimer la tourmente à laquelle l’intrigue nous confronte.

En mal de repères et sur nos gardes jusqu’à la fin, le style de cette jolie londonienne nous transporte et nous malmène avec une aisance sidérante, mettant sur nos chemins çà et là quelques bizarreries scientifiques et fresques insoutenables.

Un livre à ne pas mettre entre toutes les mains, mais que je vous recommande fortement.


Note : 5/5


lundi 17 mars 2014

Fleur de Tonnerre - Jean TEULE


Auteur connu et reconnu, il me semble inutile de vous présenter une biographie de Monsieur Le Marquis.

Ma première rencontre avec Jean TEULE se fit avec Le Magasin des Suicides en mains, œuvre au faux air burtonien et au concept dérangeant et hilarant, adaptée au grand écran.


Puis s’enchainèrent au fil des années, presque naturellement, d’autres découvertes selon moi davantage illustratrices de l’œuvre de TEULE, à savoir Le Montespan, Je, François Villon.


Une croisade littéraire au cours de laquelle Jean TEULE m’est vite apparu comme une plume non identifiée, imprégnée d’une curiosité historique quasi érudite et d’un goût certain pour la mise en scène tantôt cruelle tantôt grossière et absurde.

Ses personnages ont presque tous quelque chose de non respectable, de mollasson voire d’abrutissant ce qui participe, sans doute à notre insu, à leur charme.

Reste à savoir si avec Fleur de Tonnerre, l’auteur continue de s’inscrire dans le même sillage.


**
Au début du XIXe siècle, partout en Bretagne, couraient encore les légendes les plus extravagantes. Le soir, au creux des fermes, on évoquait avec frayeur les apparitions de l’Ankou, l’ouvrier de la mort, squelette drapé d’un linceul et portant une faux. Cette terrible image frappa avec une violence inouïe l’imaginaire de la petite Hélène Jégado. Blottie contre le granit glacé des menhirs, l’enfant se persuada qu’elle était l’incarnation de ce personnage d’épouvante. Après avoir empoisonné sa propre mère, elle sillonna la région, éliminant tous ceux qui accueillaient avec bonheur cette parfaite cuisinière. Elle tuait tout le monde, sans discrimination. Et elle était si bonne, si compatissante au chevet des mourants, que personne ne pouvait soupçonner un seul instant son monstrueux dessein. À laisser trop de traces, elle finit par se faire prendre. Quels secrets renfermaient cette tête qui, le 26 mars 1852, sur la place du Champs-de-mars de Rennes, roula dans la corbeille de la guillotine ?


**
Aux premiers abords, on se délecte de cette audacieuse référence historique et de la promesse d’une virée dans la Bretagne profonde, celle de toutes les superstitions, de toutes les magies, notamment à travers le regard et la progression de deux commerçants Normands, notre référent lambda.

Une Fleur Insipide ?

Si je n’ai pas lâché ma lecture en cours de route, je n’en ai pas moins été tentée tant la construction de l’intrigue m’a laissé perplexe, impossible de déterminer si TEULE nous jouait là un de ses grands tour de passe-passe ou s’il s’était tout simplement égaré, tant le démarrage paraissait décousu et incohérent, à l’image parfois de son héroïne et de la juxtaposition de langages si anachroniques.

Au fil des pages et de discussion, il apparait pour la majeure partie des lecteurs que TEULE opère vers la moitié de son oeuvre une sorte de scission, un instant où tout semble s’inverser et basculer.

Au fur et à mesure qu’Hélène semble s’affirmer et enfin s’animer de sentiments, qu’ils soient bons ou mauvais, nos deux Normands se laissent peu à peu absorber par ces folies bretonnes.
Le problème réside en ce que l’impression d’écriture tantôt aboutie tantôt « bâclée » nous empêche de nous immerger totalement, un décalage difficile à surmonter.

Concrètement, il y a du bon à puiser dans chacune des deux parties du roman. Se trouve dès le début, cette étape de familiarisation avec les superstitions multiples et loufoques bretonnes, une certaine élaboration des crimes et du mode opératoire d’Hélène ; et dans un second temps, cette héroïne si fade et insipide qui s’épanouie, s’épaissit jusqu’à la fin.

Du côté des grands inconvénients que présente l’œuvre, une héroïne aux airs d’automate sanguinaire, sans étoffe dont l’évolution plus qu’appréciable en deuxième partie se fait supplanter par une cascade de répétitions mortuaires, un enchaînement trop rapide et lassant de morts toutes similaires.

Le verbe de l’auteur, curieux mélange de langage urbain contemporain et de dialecte breton finit par avoir raison de nous et de notre concentration.
Reste tout de même cette sensation satisfaisante d’avoir côtoyé le temps d’une lecture un des personnages les plus intrigants de l’Histoire noire bretonne.




Note : 2,5/5

jeudi 27 février 2014

Le Manuscrit Retrouvé - Paulo COELHO



Né en 1947 à Rio de Janeiro, Paulo COEHLO est l’un des écrivains les plus influents de notre époque. 

Il est l’auteur de nombreux bestsellers à l’échelle internationale, notamment L’Alchimiste, Aleph et Le Pèlerin de Compostelle.

Traduits dans 78 langues, ses livres se sont vendus à plus de 145 millions d’exemplaires dans 170 pays. Depuis 2002, il est membre de l’Académie des lettres brésilienne et en 2007, il a été nommé Messager de la paix des Nations Unies.

Le Manuscrit retrouvé est son seizième livre publié en France.


Le 14 Juillet 1099. Alors que les croisés sont aux portes de la ville, les habitants de Jérusalem se pressent autour d’un homme mystérieux connu sous le nom du Copte pour entendre ses derniers enseignements.

La foule, composée de chrétiens, de juifs et de musulmans qui vivaient jusque alors en parfaite harmonie, s’apprête à livrer combat et la défaite semble imminente.

Mais loin de toute stratégie guerrière, c’est une véritable leçon de vie qui leur est dispensé.


Sois Ton prophète… Suis le Guide !

Cet ouvrage nous aide à repenser notre condition et le cadre dans lequel elle s’inscrit, à analyser et décortiquer les codes qui la régissent.

Un travail introspectif criant de vérité qui séduit par les thèmes essentiels qu’il aborde, tels que l’amour, la beauté ou encore la solitude, et qui peut effrayer par cette figure presque biblique, gourou des temps modernes ou illuminé nostalgique, venant prêcher la bonne parole à l’heure où la Société s’écroule sous le poids de son archaïsme, de ses aberrations et de ses contradictions.

Une dénonciation des dictats du prêt à penser et de cette Religion instrumentalisée parfois pour de mauvais desseins au lieu de consolider le lien fraternel et de réduire chaque jour le fossé qu’ils ont imaginé entre eux.  


L’Heure du Jugement Dernier

Le Manuscrit Retrouvé, drôle de mélange entre recueil de vie et derniers commandements d’un messie débarqué de nulle part, un de plus, surprend par sa forme et par son intelligibilité.

En effet le style fluide de Coelho rend abordable une autre littérature.

A Un Chapitre, Son commandement :

« Nous nions notre propre beauté parce que les autres ne peuvent pas, ou ne veulent pas, la reconnaître.
Au lieu d’accepter ce que nous sommes, nous voulons imiter ce que nous voyons autour »


Un livre qui participe à la culture de notre différence à tous et à la libération de nos esprits et de nos vieilles culpabilités.


Note: 4/5

mardi 28 janvier 2014

Habibi - Craig THOMPSON



Je vous invite aujourd’hui à prendre votre ticket pour un envol vers une destination exotique, des horizons de montagnes sablées et de saveurs sucrées.

Une lecture suggérée au hasard d’une rencontre, étrangère à mes étagères, une sorte de « bible » (sans mauvais jeu de mots) aux milles et une merveilles graphiques.

En une phrase : un pied de nez aux rebuts et aux frileux de la bande dessinée.


Une Révélation


Craig Thompson est né en 1975 dans le Michigan et a grandi dans la campagne du Wisconsin.
Ses trois précédents livres – Adieu, Chunky Rice ; Blankets, Manteau de Neige et Un Américain en balada – ont remporté de nombreux prix et ont été publiés dans près d’une vingtaine de langues.
HABIBI a été publié aux Editions Casterman, collection Ecritures, et compte près de sept cents pages, autant dire un véritable pavé de savoir et de rêveries.
Prix : 24,95 Euros
* * *

L’Epopée Fantastique
Ancré dans un paysage épique de déserts, harems et bâtiments industriels, Habibi raconte l’histoire de Dodola et Zam, deux enfants liés par le hasard, puis par un amour grandissant.
Réfugiés dans l’improbable épave d’un bateau échoué en plein désert, ils essaient de survivre dans un monde violent et corrompu.
Seule la sagesse des récits narrés par la jeune femme, issus des Livres sacrés et des traditions orientales, pourra le protéger de l’avidité des hommes.

Une prouesse onirique


Tout au long de la lecture, on se sent imprimé de ce décalage prégnant entre la dureté, voire même l’horreur humaine, aux travers des rencontres et des épreuves parsemant la route de nos deux héros, et la beauté, la force d’une union non identifiée qui échappe à tous les repères amoureux que l’on peut entendre.
Une palette de nuances amoureuses subtile et de métamorphose : au matin l’amour égoïste et bienveillant d’une mère louve ; au zénith, une passion charnelle et impossible ; au crépuscule, la fusion mystique de deux âmes sœurs.
L’intrigue progresse de façon saccadée, entrecoupée par des métaphores et récits d’autres temps, empruntant au biblique, au coranique voire même aux contes mythologiques, calés sur le tempo d’un songe murmuré : une technique qui tend à étouffé l’aigreur et la brutalité de certaines péripéties et qui donne au lecture un temps de digestion, d’ingurgitation fortement recommandé.
Un véritable travail d’orfèvre et de sublimation.
Une leçon de courage, d’espoir et de témérité sur fond de quête spirituelle – on perçoit par ailleurs vivement ce détachement de l’esprit et du corps, ce dernier devenant un simple objet de subsistance et de convoitise.
En effet, dans cette poésie illustrée, notre lecture est jonchée de scènes dénudées, tantôt d’une sensualité divine et tantôt d’une violence répugnante, nous laissant impuissants et désarmés.
Faut-il y voir une incrustation, une pénétration du mal dans la recherche incessante de Dodola pour retrouver son alter ego, Zam ?

Un conte des milles et une nuits bouleversant


Après 700 pages d’un voyage éprouvant, l’atterrissage ne se fait pas sans quelques encombres, il vous reste au fond de la gorge comme un curieux mélange d’une obsession d’instruction, nos neurones ayant été sollicitées tout du long – le sentiment d’avoir poussé les portes de l’histoire d’une civilisation ancienne et majestueuse – et d’incompréhension, de stupéfaction voire de rejet à l’égard d’une facette peu glorieuse d’un monde avide et terrifiant.
Un paradoxe doux-amer entre une narration onirique et une réalité pleine de foutre assorti d’un petit cours d’initiation à la langue et l’écriture des méandres (référence à la souplesse de la calligraphie arabe), ce qui n’est jamais de refus.
Graphiquement, les dessins ne sont que la juste illustration de la beauté de cette parenthèse lyrique : une précision qui fait mouche, des personnages qui habitent avec prestance leurs bulles.
On se laisse très facilement intégrer à l’histoire, guidé dans un premier temps par la mimine jeune et potelée de Dodola, pour finalement être abandonné à notre propre réflexion par une femme distante, retrouvée, enfin libérée de ses chimères et de ses démons (djinns).
Craig Thompson a ici réussi un véritable tour de prestidigitateur au cœur du pays des milles et une étrangetés.

Note : 5/5

vendredi 24 janvier 2014

Défense de Tuer - Louise PENNY


Père Castor, Racontes Nous une Histoire


En ce début d'hiver larmoyant et grisâtre,  je vous invite pour une escale verdoyante, un détour rafraîchissant au pays des caribous, vous goinfrez de poutine et vous faire dégouliner les doigts de ce merveilleux nectar qu’est le sirop d’érable.

Les clichés imbéciles mais rassurants mis à part, vous reprendrez bien une part de Louise PENNY ?
Mais si rappelez-vous de ce génie littéraire dont je vous ai déjà conté les louanges, cette nouvelle prétendante au titre d’ambassadrice du Rompol … c’est reparti pour un tour de piste !

***

De formation journalistique cette canadienne quinquagénaire s’est lancée fin des années 2000 dans l’écriture de plusieurs romans policiers.
Récompensée à maintes reprises par des prix prestigieux (Prix Agatha décerné quatre fois), il semble que la traversée outre atlantique de sa notoriété ne se soit pas faite sans encombre, n’ayant j jamais entendu parler de sa plume jusqu’il y a quelques mois de çà.

Un Huis Clos Déstabilisant


Une fois encore, la première de couverture, un brin British, est un pur produit de sophistication et de loufoquerie, en adéquation parfaite avec l’intrigue et le décor qu’elle renferme.
La mise en scène du cadavre de ce pauvre petit zozio malchanceux sur fond de nappe fleurie, kitsch à souhait, servi sur sa coupelle de porcelaine nous promet une virée pour le moins originale.

*
Au plus fort de l’été, le Manoir Bellechasse, un hôtel luxueux des Cantons de l’Est, accueille les membres d’une riche famille anglo-canadienne réunis pour rendre hommage à leur défunt patriarche, les Morrow. L’inspecteur chef Armand Gamache, venu célébrer avec sa femme leur trente-cinquième anniversaire de mariage, constate rapidement le troublant comportement de cette famille aux apparences parfaites.
Sous la surface trop lisse bouillonne une inavouable rancune longtemps refoulée. Dans les esprits comme dans le ciel, l’atmosphère s’alourdit. Bientôt une tempête s’abat, laissant derrière elle un cadavre étrangement mis en scène.

*

Malheureusement pour les petites bourses, les porte feuilles malmenés durant cette période de réjouissances hivernales, le format poche de cette œuvre littéraire n’a pas encore vu le jour en collection chez Actes Sud donc pour les plus impatients et adeptes du « J’achète toujours les romans que je lis afin d’en garder une trace aux tréfonds de ma bibliothèque foisonnante », il vous faudra débourser la coquette somme de 23, 50 € pour 409 pages de plaisir.

Les Joies des Retrouvailles en Famille… Ou Une Intrigue en Deux Temps


Tout comme dans « Nature Morte », l’auteure nous permet de nous familiariser quelques instants avant l’instant fatidique avec la victime.
Un choix d’autant plus accentué en l’espèce, puisque si le roman s’annonce bel et bien comme un policier, à la lecture des premiers chapitres, on en oublierait presque les raisons qui en ont motivé l’acquisition, phénomène dû à l’enchevêtrement de deux intrigues déconnectées et isolées en apparence.
*
« Défense de tuer », c’est dans un premier temps, l’opportunité d’une retraite champêtre, un repos bien mérité pour notre inspecteur chef Armand Gamache et son épouse Reine-Marie, et avant tout l’occasion de fêter ensemble leurs noces de rubis dans un cadre idyllique cher à leurs cœurs.
Un commencement plutôt gentillet, pas tellement raccord avec l’intitulé de l’œuvre, ponctué par des retrouvailles avec de vieilles connaissances tout à fait charmantes à savoir la maîtresse des lieux, Mme Dubois, le maître d’hôtel, Pierre Patenaude (homme élégant au dévouement aberrant), la Chef Véronique (armoire normande au petit cœur délicat et dotée de paluches à faire pâlir les bucherons de la région)… ainsi qu’une armada de jeunes saisonniers pour le moins turbulents et dissipés.
Louise Penny nous plante le temps de quelques pages dans une atmosphère apaisante et cocooning, on baisse la garde brièvement, ressourcé par l’environnement d’une nature triomphante et les odeurs alléchantes qui émanent des cuisines. 
On s’y croirait véritablement, assis sur cette terrasse à l’heure où les premiers rayons de soleil pointent le bout de leur nez et révèle cette étendue herbacée et ce lac profond et tranquille. On s’endort sur nos lauriers !
Le personnage d’Armand Gamache est davantage mis en scène, on entre plus facilement dans son intimité ce qui lui fait incontestablement prendre de l’épaisseur. 
Poète à ses heures perdues, il se dévoile également au travers d’angoisses d’antan, de révélation sur quelques secrets gênants de feu son père.

*
« Défense de tuer », c’est également un séjour troublé par la présence d’une famille mondaine, les Morrow, personnages aussi étonnants que consternants, réunis en l’honneur d’une commémoration des plus originales en l’honneur de Charles Morrow, pater familias décédé il y a deçà quelques années.
L’occasion pour les protagonistes, voire les comédiens, qui la composent de donner leur ultime représentation.

Dans la famille de décérébrés je demande…

Irène Finney (Anciennement Morrow) : Matriarche tyrannique et impitoyable, adepte de la psychologie inversée, régnant en despote sur son armée de rejetons.
Bert Finney : Meilleur ami de feu M. Morrow et nouvel époux d’Irène. Homme de chiffres et de l’ombre, d’une laideur extraordinaire, imperméable aux frasques de ses congénères.
Peter Morrow (alias Spot) et son épouse Clara : Déjà rencontrés dans un précédent avis, couple de peintres marginaux. Un fils désavoué en perpétuelle recherche de reconnaissance, de gratitude familiale, sujet positif au syndrome de Stockholm . 
Une âme d’artiste au tempérament de banquier. Un être a priori détaché de toute cupidité et convenances de son rang mais profondément torturé.
Thomas Morrow (alias … Rien) et son épouse Sandra : Petit prétentieux snobinard à la tête d’une multinationale, d’une arrogance subtile et tranchante. Coupable idéal… un peu trop cependant.
Julia Morrow : L’extradée, ex-femme d’un homme rompu aux affaires et aux magouilles en tout genre, elle fuit sa cellule familiale à l’âge de vingt ans pour une raison inavouable par ses congénères. Passionnée et névrosée, elle attise les convoitises.
Marianna Morrow (alias Magilla le Gorille) et son enfant Bean (alias l’enfant qui ne sait pas sauter) : Benjamine de la fratrie au physique peu attrayant et négligé, elle se place dans le sillage de la course à l’héritage sans aucun état d’âme et affiche ses attentions au grand jour. 
Rancunière et mesquine, le prénom, ou plutôt le sobriquet, porté par son enfant, Bean (Haricot en anglais), ainsi que la mise sous silence du sexe de l’enfant, encore indéterminable, ne sont autres que le produit d’une énième contrariété faite à l’attention de sa génitrice.

Et Charles Morrow… enfin ce qu’il en reste à savoir une statue gigantesque dressé dans ce somptueux décor comme une chiure de mouche… colosse aux pieds d’argile, pierre angulaire du triste dessein qui s’annonce. Intrigant et secret, père indigne ou père un tantinet trop protecteur ?

L’intérêt de vous présenter cette tripotée de furoncles ambulants est assez révélateur du style d’écriture et de la mise en scène de Louise Penny qui excelle par sa capacité à accoucher de personnages aux portraits psychologiques foisonnants et détaillés, sans pour autant tomber dans un excès de description ennuyeuse et redondante.


Comme une Odeur Délicieuse de Pourriture


A la manière de ces précurseurs, Agatha Christie et Fred Vargas, Louise Penny confronte un à un l’ensemble de ses protagonistes, l’occasion de mettre en avant les rivalités de chacun et les zones d’ombre subsistant sur les rancœurs d’autrefois, pas toujours en lien direct avec le meurtre en lui-même mais qui étoffe le roman et le crédibilise davantage.

La rupture avec cette entrée en matière doucereuse et gourmande est consommée par la mort effroyable et glaciale de Julia Morrow, retrouvée dans le parc écrasée, les bras ouverts, par la statue de son paternel, Charles Morrow. 
Autrement dit, l’heure pour Armand Gamache de siroter sa dernière tasse de thé au miel et de reprendre du service accompagné de sa brigade spéciale.
L’étau se ressert, rapidement la conclusion du meurtre tombe, le huis clos est ordonné.
Les personnages se dévoilent dans toute leur abomination et comme il est de coutume, le suspect potentiel se niche en chacun d’eux ce qui rend le lecteur d’autant plus fasciné et impatient, trépignant à l’idée de vérifier ses propres suppositions avec le verdict final, Joueur de Cluedo un jour, Joueur de Cluedo toujours !
Les machinations font rage et le contraste entre l’horreur et les vicissitudes des caractères et les odeurs subtiles et chaleureuses d’une cuisine traditionnelle perdure avec brio.
Louise Penny réussit à nouveau un tour de maitre. 
Encore une fois, la trame sympathique et bonne enfant de l’intrigue jongle avec l’atrocité des faiblesses humaines.
Le décalage entre cruauté et burlesque est parfaitement assumé et cohérent pour le plus grand plaisir du lecteur.
Une lecture haletante et menaçante sur fond de détente délicieuse et appétissante.


Note : 4,5/5