mardi 28 janvier 2014

Habibi - Craig THOMPSON



Je vous invite aujourd’hui à prendre votre ticket pour un envol vers une destination exotique, des horizons de montagnes sablées et de saveurs sucrées.

Une lecture suggérée au hasard d’une rencontre, étrangère à mes étagères, une sorte de « bible » (sans mauvais jeu de mots) aux milles et une merveilles graphiques.

En une phrase : un pied de nez aux rebuts et aux frileux de la bande dessinée.


Une Révélation


Craig Thompson est né en 1975 dans le Michigan et a grandi dans la campagne du Wisconsin.
Ses trois précédents livres – Adieu, Chunky Rice ; Blankets, Manteau de Neige et Un Américain en balada – ont remporté de nombreux prix et ont été publiés dans près d’une vingtaine de langues.
HABIBI a été publié aux Editions Casterman, collection Ecritures, et compte près de sept cents pages, autant dire un véritable pavé de savoir et de rêveries.
Prix : 24,95 Euros
* * *

L’Epopée Fantastique
Ancré dans un paysage épique de déserts, harems et bâtiments industriels, Habibi raconte l’histoire de Dodola et Zam, deux enfants liés par le hasard, puis par un amour grandissant.
Réfugiés dans l’improbable épave d’un bateau échoué en plein désert, ils essaient de survivre dans un monde violent et corrompu.
Seule la sagesse des récits narrés par la jeune femme, issus des Livres sacrés et des traditions orientales, pourra le protéger de l’avidité des hommes.

Une prouesse onirique


Tout au long de la lecture, on se sent imprimé de ce décalage prégnant entre la dureté, voire même l’horreur humaine, aux travers des rencontres et des épreuves parsemant la route de nos deux héros, et la beauté, la force d’une union non identifiée qui échappe à tous les repères amoureux que l’on peut entendre.
Une palette de nuances amoureuses subtile et de métamorphose : au matin l’amour égoïste et bienveillant d’une mère louve ; au zénith, une passion charnelle et impossible ; au crépuscule, la fusion mystique de deux âmes sœurs.
L’intrigue progresse de façon saccadée, entrecoupée par des métaphores et récits d’autres temps, empruntant au biblique, au coranique voire même aux contes mythologiques, calés sur le tempo d’un songe murmuré : une technique qui tend à étouffé l’aigreur et la brutalité de certaines péripéties et qui donne au lecture un temps de digestion, d’ingurgitation fortement recommandé.
Un véritable travail d’orfèvre et de sublimation.
Une leçon de courage, d’espoir et de témérité sur fond de quête spirituelle – on perçoit par ailleurs vivement ce détachement de l’esprit et du corps, ce dernier devenant un simple objet de subsistance et de convoitise.
En effet, dans cette poésie illustrée, notre lecture est jonchée de scènes dénudées, tantôt d’une sensualité divine et tantôt d’une violence répugnante, nous laissant impuissants et désarmés.
Faut-il y voir une incrustation, une pénétration du mal dans la recherche incessante de Dodola pour retrouver son alter ego, Zam ?

Un conte des milles et une nuits bouleversant


Après 700 pages d’un voyage éprouvant, l’atterrissage ne se fait pas sans quelques encombres, il vous reste au fond de la gorge comme un curieux mélange d’une obsession d’instruction, nos neurones ayant été sollicitées tout du long – le sentiment d’avoir poussé les portes de l’histoire d’une civilisation ancienne et majestueuse – et d’incompréhension, de stupéfaction voire de rejet à l’égard d’une facette peu glorieuse d’un monde avide et terrifiant.
Un paradoxe doux-amer entre une narration onirique et une réalité pleine de foutre assorti d’un petit cours d’initiation à la langue et l’écriture des méandres (référence à la souplesse de la calligraphie arabe), ce qui n’est jamais de refus.
Graphiquement, les dessins ne sont que la juste illustration de la beauté de cette parenthèse lyrique : une précision qui fait mouche, des personnages qui habitent avec prestance leurs bulles.
On se laisse très facilement intégrer à l’histoire, guidé dans un premier temps par la mimine jeune et potelée de Dodola, pour finalement être abandonné à notre propre réflexion par une femme distante, retrouvée, enfin libérée de ses chimères et de ses démons (djinns).
Craig Thompson a ici réussi un véritable tour de prestidigitateur au cœur du pays des milles et une étrangetés.

Note : 5/5

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