mardi 7 janvier 2014

Morte La Bête - Lotte & Soren HAMMER


Je vous emmène à nouveau en virée littéraire mais cette fois ci restez bien cramponnés à vos claviers et écrans puisque la lecture que je vous propose nous invite à flirter (voire à copuler) avec l’Horreur humaine, et nous soulève le cœur de temps à autre.
Les âmes sensibles, les humanistes en herbe seront avertis et se confronteront peut-être au détour de cette intrigue à quelques contradictions existentielles concernant la condition humaine, le phénomène sociétaire et ses limites.
C’est dans un contexte politique français juste idéal que je viens insérer mon avis, la Réforme Pénale arrive à grands pas trainant derrière elle, timidement, son projet d’aménagement des peines et des solutions alternatives alors que des mouvements et groupuscules appellent de plus en plus à une justice privée.
C’est précisément sur ce sentiment d’impunité et ce désir de vengeance citoyenne que l’auteur s’est penché et nous a quelque part interrogés, sur fond d’un fléau social qui ne saurait continuer à être contenu par les autorités publiques davantage (ici au Danemark mais on pourrait tout aussi bien l’appliquer à notre schéma national), la pédophilie.


Une Délation à 4 mains ! 


Il m’appartient d’être un peu plus précise et de rétablir une vérité, je vous parlais précédemment de « l’auteur », tout simplement parce que le livre vous donne une impression de fluidité et de cohérence absolue, mais que nenni, cette œuvre dérangeante a bel et bien vu le jour sous une plume fraternelle.
Les auteurs, Lotte et Soren HAMMER ne sont rien d’autre en effet que frère et sœur, une histoire de famille (Sans mauvais jeu de mots) ; une connexité quasi gémellaire puisque ces derniers nous confie à travers un entretien livré à Actes Sud (l’éditeur), vivre dans le même immeuble.
Toujours très attachés à écrire et interpeller sur des sujets délicats, comme c’est le cas ici et pas des moindres, la pédophilie, ils ont su se renouveler au fil de leurs écritures tout en contrastant avec le côté polar, la mise en scène d’un personnage central et commun, l’inspecteur Konrad Simonsen.
Traduit dans plus d’une quinzaine de pays, autant dire que le succès de ce livre publié en France aux Editions Actes Sud, Collection Babel Noir en 2011, a été retentissant : le voile sur un tabou a été levé.

Quand le Justiciable se Fait Justicier… 


Si le cœur du bouquin a très vite fait d’annoncer la couleur et de vous déstabiliser, il en est de même pour l’illustration retenue en première de couverture, à savoir la représentation d’une petite poupée de chiffons d’enfant qui semble avoir été abandonnée là dans un coin de chambre, toute tristounette, dans un atmosphère sombre et secrète…

Sans doute le seul témoin des atrocités et sévices endurés par son propriétaire, premier glaçage de sang.
Moi qui suis d’ordinaire dotée d’une curiosité littéraire assez sordide si je puis dire (ne vous méprenez pas je ne me complais pas dans l’horreur et la perversité, bien au contraire), j’ai bizarrement longuement hésité avant mon passage définitif en caisse.
La peur de devoir sans doute essayer d’entendre deux sons de cloches, de ne pas me braquer devant l’ignominie de ces atteintes juvéniles, de prendre du recul.
Ce qui a finalement réussi à me convaincre de m’enfiler ces 500 pages intrigantes se complotait en quatrième de couverture :
Le jour de la rentrée, deux enfants découvrent un spectacle cauchemardesque dans le gymnase de leur école : cinq corps d’hommes ont été mutilés à la tronçonneuse avant d’être pendus au plafond.
L’inspecteur en chef Simonsen prend la direction de l’enquête. L’identification des corps est compliquée par leur état, mais l’ablation systématique des parties génitales ressemble à une signature.
Dès les premiers interrogatoires, l’étrange concierge de l’école tient des propos contradictoires et provocateurs.

Dans le même temps, un riche entrepreneur victime d’abus sexuels dans sa jeunesse lance une vaste campagne de communication pour dénoncer le laxisme de la justice danoise vis-à-vis des pédophiles.
L’opinion publique s’empare du débat, menaçant de parasiter l’enquête. Le concierge, de son côté, échappe à la surveillance de la police…


 Une Véritable Chasse à l’Homme ! 

Le décor est planté, une ambiance malsaine vous prend à la gorge dès les premières pages, vous délivrant brutalement cette fresque carnassière quasi démoniaque : Une mutilation grande nature offerte à la vue de tous tel un avertissement lancé aux prédateurs sexuels peu scrupuleux.
Personnellement je ne me souviens pas avoir réussi à déglutir avant l’arrivée des services de police sur les lieux du carnage, une adaptation cinématographique ne serait pas mieux parvenue à me nouer l’estomac et à me rendre nauséeuse.
Je le rappelle à ce stade de l’avis, ce livre n’est ni un brûlot ni une apologie faite au gore, l’horreur de la scène est simplement à la hauteur des souffrances étouffées et contenues de centaines d’êtres abusés, par un système politique les ayant dénigré.
De prime abord, on se laisserait tenter par se retour en arrière primitif, cette révolution de santé publique presque.
En référence au résumé, on nous parle d’une victime partant en campagne, plutôt sanguinaire, mais il s’agit bien de cela, les troupes sont galvanisées, on cherche à sensibiliser par tous les moyens, aussi odieux soient-ils, les pouvoirs publics étrangers… Une campagne de Terreur ??
Une Chasse à l’homme pédophile, rien de plus, un soulèvement de haine gigantesque, d’impunité totale à l’encontre de bourreaux souvent méconnus, mal appréhendés.
Difficile ici de ne pas faire transparaître son opinion, ce que parviennent admirablement à exécuter la Team HAMMER… « MORTE LA BETE » nous ramène à certains égards à une vengeance trop facile…
En effet comment ne pas se transformer nous même en monstruosité de la nature lorsque l’innocence et la pureté même de nos bambins ont été souillées et piétinées ?
Le lecteur est happé par la cruauté de cette vendetta, dégoûté par cette violence lâche faite aux enfants et dans ce climat tiraillé… se trouve rééquilibré, re stabilisé par ce personnage au sang froid et impénétrable, l’Inspecteur Simonsen qui lui sert en quelque sorte de curseur.

Les Bonnes Mœurs et L’Ordre Public Au Placard ! 


Le style est authentique, distant, on ne cherche pas à nous influencer dans l’une ou l’autre direction, c’est un simple constat que l’on nous jette à la figure et avec lequel il faut se dépêtrer tant bien que mal et avec le plus d’intelligence possible.
Les gens deviennent fous, la Justice privée est en marche et rien ne semble pouvoir l’arrêter, le crime ne choque plus, il devient une nécessité publique. On se déshumanise.
Et lorsque ce flot de haine et de désespoir a suffi à vous submerger, il est bon de faire une pause, de laisser le livre vous amener à vous poser la sempiternelle question des droits de l’homme, du respect de la vie d’autrui, voire même de l’assistance, et on ne parle pas ici exclusivement de celles des victimes.
Cet effroyable flash back, cette délation outrancière, cette horde de chiens enragés que l’on peut si facilement côtoyer nous interpelle et nous ramène quelques décennies en arrière… est-ce qu’on veut vraiment éradiquer ce fléau de cette manière ? Je ne le crois pas, aussi horrible soit-il.
Le livre lui-même est un débat constat et a eu moins le mérite de dénoncer la médiation politique de l’opinion publique, de lever les tabous en nous préservant de nous-mêmes, on jette nos fourches à mi parcours pour essayer d’attaquer le mal à sa source, en tentant autant que possible de le décrypter !


Conclusion


Je recommande chaudement ce livre même si je me doutes qu’a priori il ne fera pas beaucoup d’adeptes.
Les choses sont crues et c’est donc de cette manière qu’elles sont abordées il ne faut pas en avoir peur.
Il ne s’agit pas ici d’un plaidoyer pour les personnes atteintes de pédophilie (en imaginant qu’il ne soit seulement question de maladie), ni d’un appel aux armes pour les victimes, mais d’une confrontation morale et éthique dont on ne souhaite retirer que le plus constructif de nous-même.

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