mardi 28 janvier 2014

Habibi - Craig THOMPSON



Je vous invite aujourd’hui à prendre votre ticket pour un envol vers une destination exotique, des horizons de montagnes sablées et de saveurs sucrées.

Une lecture suggérée au hasard d’une rencontre, étrangère à mes étagères, une sorte de « bible » (sans mauvais jeu de mots) aux milles et une merveilles graphiques.

En une phrase : un pied de nez aux rebuts et aux frileux de la bande dessinée.


Une Révélation


Craig Thompson est né en 1975 dans le Michigan et a grandi dans la campagne du Wisconsin.
Ses trois précédents livres – Adieu, Chunky Rice ; Blankets, Manteau de Neige et Un Américain en balada – ont remporté de nombreux prix et ont été publiés dans près d’une vingtaine de langues.
HABIBI a été publié aux Editions Casterman, collection Ecritures, et compte près de sept cents pages, autant dire un véritable pavé de savoir et de rêveries.
Prix : 24,95 Euros
* * *

L’Epopée Fantastique
Ancré dans un paysage épique de déserts, harems et bâtiments industriels, Habibi raconte l’histoire de Dodola et Zam, deux enfants liés par le hasard, puis par un amour grandissant.
Réfugiés dans l’improbable épave d’un bateau échoué en plein désert, ils essaient de survivre dans un monde violent et corrompu.
Seule la sagesse des récits narrés par la jeune femme, issus des Livres sacrés et des traditions orientales, pourra le protéger de l’avidité des hommes.

Une prouesse onirique


Tout au long de la lecture, on se sent imprimé de ce décalage prégnant entre la dureté, voire même l’horreur humaine, aux travers des rencontres et des épreuves parsemant la route de nos deux héros, et la beauté, la force d’une union non identifiée qui échappe à tous les repères amoureux que l’on peut entendre.
Une palette de nuances amoureuses subtile et de métamorphose : au matin l’amour égoïste et bienveillant d’une mère louve ; au zénith, une passion charnelle et impossible ; au crépuscule, la fusion mystique de deux âmes sœurs.
L’intrigue progresse de façon saccadée, entrecoupée par des métaphores et récits d’autres temps, empruntant au biblique, au coranique voire même aux contes mythologiques, calés sur le tempo d’un songe murmuré : une technique qui tend à étouffé l’aigreur et la brutalité de certaines péripéties et qui donne au lecture un temps de digestion, d’ingurgitation fortement recommandé.
Un véritable travail d’orfèvre et de sublimation.
Une leçon de courage, d’espoir et de témérité sur fond de quête spirituelle – on perçoit par ailleurs vivement ce détachement de l’esprit et du corps, ce dernier devenant un simple objet de subsistance et de convoitise.
En effet, dans cette poésie illustrée, notre lecture est jonchée de scènes dénudées, tantôt d’une sensualité divine et tantôt d’une violence répugnante, nous laissant impuissants et désarmés.
Faut-il y voir une incrustation, une pénétration du mal dans la recherche incessante de Dodola pour retrouver son alter ego, Zam ?

Un conte des milles et une nuits bouleversant


Après 700 pages d’un voyage éprouvant, l’atterrissage ne se fait pas sans quelques encombres, il vous reste au fond de la gorge comme un curieux mélange d’une obsession d’instruction, nos neurones ayant été sollicitées tout du long – le sentiment d’avoir poussé les portes de l’histoire d’une civilisation ancienne et majestueuse – et d’incompréhension, de stupéfaction voire de rejet à l’égard d’une facette peu glorieuse d’un monde avide et terrifiant.
Un paradoxe doux-amer entre une narration onirique et une réalité pleine de foutre assorti d’un petit cours d’initiation à la langue et l’écriture des méandres (référence à la souplesse de la calligraphie arabe), ce qui n’est jamais de refus.
Graphiquement, les dessins ne sont que la juste illustration de la beauté de cette parenthèse lyrique : une précision qui fait mouche, des personnages qui habitent avec prestance leurs bulles.
On se laisse très facilement intégrer à l’histoire, guidé dans un premier temps par la mimine jeune et potelée de Dodola, pour finalement être abandonné à notre propre réflexion par une femme distante, retrouvée, enfin libérée de ses chimères et de ses démons (djinns).
Craig Thompson a ici réussi un véritable tour de prestidigitateur au cœur du pays des milles et une étrangetés.

Note : 5/5

vendredi 24 janvier 2014

Défense de Tuer - Louise PENNY


Père Castor, Racontes Nous une Histoire


En ce début d'hiver larmoyant et grisâtre,  je vous invite pour une escale verdoyante, un détour rafraîchissant au pays des caribous, vous goinfrez de poutine et vous faire dégouliner les doigts de ce merveilleux nectar qu’est le sirop d’érable.

Les clichés imbéciles mais rassurants mis à part, vous reprendrez bien une part de Louise PENNY ?
Mais si rappelez-vous de ce génie littéraire dont je vous ai déjà conté les louanges, cette nouvelle prétendante au titre d’ambassadrice du Rompol … c’est reparti pour un tour de piste !

***

De formation journalistique cette canadienne quinquagénaire s’est lancée fin des années 2000 dans l’écriture de plusieurs romans policiers.
Récompensée à maintes reprises par des prix prestigieux (Prix Agatha décerné quatre fois), il semble que la traversée outre atlantique de sa notoriété ne se soit pas faite sans encombre, n’ayant j jamais entendu parler de sa plume jusqu’il y a quelques mois de çà.

Un Huis Clos Déstabilisant


Une fois encore, la première de couverture, un brin British, est un pur produit de sophistication et de loufoquerie, en adéquation parfaite avec l’intrigue et le décor qu’elle renferme.
La mise en scène du cadavre de ce pauvre petit zozio malchanceux sur fond de nappe fleurie, kitsch à souhait, servi sur sa coupelle de porcelaine nous promet une virée pour le moins originale.

*
Au plus fort de l’été, le Manoir Bellechasse, un hôtel luxueux des Cantons de l’Est, accueille les membres d’une riche famille anglo-canadienne réunis pour rendre hommage à leur défunt patriarche, les Morrow. L’inspecteur chef Armand Gamache, venu célébrer avec sa femme leur trente-cinquième anniversaire de mariage, constate rapidement le troublant comportement de cette famille aux apparences parfaites.
Sous la surface trop lisse bouillonne une inavouable rancune longtemps refoulée. Dans les esprits comme dans le ciel, l’atmosphère s’alourdit. Bientôt une tempête s’abat, laissant derrière elle un cadavre étrangement mis en scène.

*

Malheureusement pour les petites bourses, les porte feuilles malmenés durant cette période de réjouissances hivernales, le format poche de cette œuvre littéraire n’a pas encore vu le jour en collection chez Actes Sud donc pour les plus impatients et adeptes du « J’achète toujours les romans que je lis afin d’en garder une trace aux tréfonds de ma bibliothèque foisonnante », il vous faudra débourser la coquette somme de 23, 50 € pour 409 pages de plaisir.

Les Joies des Retrouvailles en Famille… Ou Une Intrigue en Deux Temps


Tout comme dans « Nature Morte », l’auteure nous permet de nous familiariser quelques instants avant l’instant fatidique avec la victime.
Un choix d’autant plus accentué en l’espèce, puisque si le roman s’annonce bel et bien comme un policier, à la lecture des premiers chapitres, on en oublierait presque les raisons qui en ont motivé l’acquisition, phénomène dû à l’enchevêtrement de deux intrigues déconnectées et isolées en apparence.
*
« Défense de tuer », c’est dans un premier temps, l’opportunité d’une retraite champêtre, un repos bien mérité pour notre inspecteur chef Armand Gamache et son épouse Reine-Marie, et avant tout l’occasion de fêter ensemble leurs noces de rubis dans un cadre idyllique cher à leurs cœurs.
Un commencement plutôt gentillet, pas tellement raccord avec l’intitulé de l’œuvre, ponctué par des retrouvailles avec de vieilles connaissances tout à fait charmantes à savoir la maîtresse des lieux, Mme Dubois, le maître d’hôtel, Pierre Patenaude (homme élégant au dévouement aberrant), la Chef Véronique (armoire normande au petit cœur délicat et dotée de paluches à faire pâlir les bucherons de la région)… ainsi qu’une armada de jeunes saisonniers pour le moins turbulents et dissipés.
Louise Penny nous plante le temps de quelques pages dans une atmosphère apaisante et cocooning, on baisse la garde brièvement, ressourcé par l’environnement d’une nature triomphante et les odeurs alléchantes qui émanent des cuisines. 
On s’y croirait véritablement, assis sur cette terrasse à l’heure où les premiers rayons de soleil pointent le bout de leur nez et révèle cette étendue herbacée et ce lac profond et tranquille. On s’endort sur nos lauriers !
Le personnage d’Armand Gamache est davantage mis en scène, on entre plus facilement dans son intimité ce qui lui fait incontestablement prendre de l’épaisseur. 
Poète à ses heures perdues, il se dévoile également au travers d’angoisses d’antan, de révélation sur quelques secrets gênants de feu son père.

*
« Défense de tuer », c’est également un séjour troublé par la présence d’une famille mondaine, les Morrow, personnages aussi étonnants que consternants, réunis en l’honneur d’une commémoration des plus originales en l’honneur de Charles Morrow, pater familias décédé il y a deçà quelques années.
L’occasion pour les protagonistes, voire les comédiens, qui la composent de donner leur ultime représentation.

Dans la famille de décérébrés je demande…

Irène Finney (Anciennement Morrow) : Matriarche tyrannique et impitoyable, adepte de la psychologie inversée, régnant en despote sur son armée de rejetons.
Bert Finney : Meilleur ami de feu M. Morrow et nouvel époux d’Irène. Homme de chiffres et de l’ombre, d’une laideur extraordinaire, imperméable aux frasques de ses congénères.
Peter Morrow (alias Spot) et son épouse Clara : Déjà rencontrés dans un précédent avis, couple de peintres marginaux. Un fils désavoué en perpétuelle recherche de reconnaissance, de gratitude familiale, sujet positif au syndrome de Stockholm . 
Une âme d’artiste au tempérament de banquier. Un être a priori détaché de toute cupidité et convenances de son rang mais profondément torturé.
Thomas Morrow (alias … Rien) et son épouse Sandra : Petit prétentieux snobinard à la tête d’une multinationale, d’une arrogance subtile et tranchante. Coupable idéal… un peu trop cependant.
Julia Morrow : L’extradée, ex-femme d’un homme rompu aux affaires et aux magouilles en tout genre, elle fuit sa cellule familiale à l’âge de vingt ans pour une raison inavouable par ses congénères. Passionnée et névrosée, elle attise les convoitises.
Marianna Morrow (alias Magilla le Gorille) et son enfant Bean (alias l’enfant qui ne sait pas sauter) : Benjamine de la fratrie au physique peu attrayant et négligé, elle se place dans le sillage de la course à l’héritage sans aucun état d’âme et affiche ses attentions au grand jour. 
Rancunière et mesquine, le prénom, ou plutôt le sobriquet, porté par son enfant, Bean (Haricot en anglais), ainsi que la mise sous silence du sexe de l’enfant, encore indéterminable, ne sont autres que le produit d’une énième contrariété faite à l’attention de sa génitrice.

Et Charles Morrow… enfin ce qu’il en reste à savoir une statue gigantesque dressé dans ce somptueux décor comme une chiure de mouche… colosse aux pieds d’argile, pierre angulaire du triste dessein qui s’annonce. Intrigant et secret, père indigne ou père un tantinet trop protecteur ?

L’intérêt de vous présenter cette tripotée de furoncles ambulants est assez révélateur du style d’écriture et de la mise en scène de Louise Penny qui excelle par sa capacité à accoucher de personnages aux portraits psychologiques foisonnants et détaillés, sans pour autant tomber dans un excès de description ennuyeuse et redondante.


Comme une Odeur Délicieuse de Pourriture


A la manière de ces précurseurs, Agatha Christie et Fred Vargas, Louise Penny confronte un à un l’ensemble de ses protagonistes, l’occasion de mettre en avant les rivalités de chacun et les zones d’ombre subsistant sur les rancœurs d’autrefois, pas toujours en lien direct avec le meurtre en lui-même mais qui étoffe le roman et le crédibilise davantage.

La rupture avec cette entrée en matière doucereuse et gourmande est consommée par la mort effroyable et glaciale de Julia Morrow, retrouvée dans le parc écrasée, les bras ouverts, par la statue de son paternel, Charles Morrow. 
Autrement dit, l’heure pour Armand Gamache de siroter sa dernière tasse de thé au miel et de reprendre du service accompagné de sa brigade spéciale.
L’étau se ressert, rapidement la conclusion du meurtre tombe, le huis clos est ordonné.
Les personnages se dévoilent dans toute leur abomination et comme il est de coutume, le suspect potentiel se niche en chacun d’eux ce qui rend le lecteur d’autant plus fasciné et impatient, trépignant à l’idée de vérifier ses propres suppositions avec le verdict final, Joueur de Cluedo un jour, Joueur de Cluedo toujours !
Les machinations font rage et le contraste entre l’horreur et les vicissitudes des caractères et les odeurs subtiles et chaleureuses d’une cuisine traditionnelle perdure avec brio.
Louise Penny réussit à nouveau un tour de maitre. 
Encore une fois, la trame sympathique et bonne enfant de l’intrigue jongle avec l’atrocité des faiblesses humaines.
Le décalage entre cruauté et burlesque est parfaitement assumé et cohérent pour le plus grand plaisir du lecteur.
Une lecture haletante et menaçante sur fond de détente délicieuse et appétissante.


Note : 4,5/5

lundi 20 janvier 2014

Un Merle Sur Le Tilleul suivi de Presse Purée - Stéphane BEAU




La littérature n’a pas fini de nous livrer ses secrets et c’est sous une forme somme toute inhabituelle, celle de l’aphorisme, que j’ai eu le plaisir de la redécouvrir ces derniers jours.


Une technique qui emprunte indéniablement à celle de la citation mais avec cette particularité qu’elle ne prétend pas nous livrer sur un plateau La solution, ni une vérité, un précepte universel.

Une sorte de sentence littéraire qui n’appelle aucune solution raisonnable.



Une Plume Habile


Avec Un Merle sur le Tilleul Stéphane BEAU n’en est pas à ses premiers pas en écriture et tel le marionnettiste des genres, romans, nouvelles et essais ont déjà goûté le joug de sa plume.

Fondateur de feu la revue Le Grognard, cet amoureux des livres (pour reprendre l’expression de Luc VIDAL) un brin secret, collabore à de nombreux travaux littéraires et étudie depuis une dizaine d’années la vie et l’œuvre du philosophe Georges Palante dont il a réédité plusieurs ouvrages.

Entre autres :
                - Le Coffret, roman, éditions du Petit Pavé, 2009
                - 23h23 Pavillon A, roman, éditions du Petit Véhicule, 2011

Un Merle sur le Tilleul est paru aux éditions du Petit Véhicule en 2013 sous forme de livre relié à la chinoise, méthode dont j’ai déjà eu l’occasion de m’étendre dans de précédents avis et que je vous invite à découvrir.


Un Voyage Insoupçonné


Chacune des phrases semble me desservir vers des instants oubliés, un véritable voyage intime permit par le choix de la figure de style, à la fois impersonnelle et pleine de réalité.

A la manière d’un tableau on y projette à souhait nos désirs, calque notre vérité, gomme les petits bévues et contrariétés.
On se plait à se confronter à nouveau, à se découvrir différents visages, différents costumes.

Attention cependant à prendre le train en marche et à savoir en sortir à temps, inutile de se précipiter et d’engloutir d’une traite cet ouvrage au risque de ne pas tenir le choc.
Chaque mot résonne en notre for intérieur et fini par éclater telle une bulle de savon, nous laissant là, sur le bas côté, songeur et prêt ou non à un petit travail introspectif.

L’arborescence du livre, sa structure participe à notre libération, au gré des humeurs, des états d’âmes, on reste maître d’aller piocher çà et là quelques lignes percutantes.

Un message délivré très intelligemment et qui ne sera que d’autant plus entendu, le lecteur ayant le temps de le prendre justement, et de s’en détacher suffisamment pour mieux le pénétrer.

***

La deuxième partie de l’œuvre, intitulée Presse Purée ou encore Chronique de l’inactualité, a quant à elle plutôt pour fonction de nous dérider après ce trop plein d’émotions, une séance de stretching neurologique sans doute et d’échauffement des zygomatiques.

Le concept est pour le moins original et nous incite à réapprendre à nous amuser d’un rien comme à la belle époque où le claquement d’un bouchon métallique de bouteille de jus nous ravissait bien plus que la tablette dernier cri. Mais ne nous dissipons pas et revenons en à nos …tubercules ?

Le principe est simple et l’exercice subtil : Dans un carnet vierge, incorporez un titre d’article de journal, préalablement découpé (peu importe le sujet, d’ailleurs, plus celui-ci vous paraîtra futile plus facilement la fibre humoristique viendra à vous) puis lui accoler une phrase de votre cru (parfois sous forme de réponse, souvent sarcastique), mélangez le tout puis laisser reposer afin d’y apporter les dernières retouches.

Exemples tirés du livre :

« La fraternité en danger.
   J’m’en fous, j’suis fils unique. »

« Un homme interpellé après 55 fausses déclarations de paternité.
   Et quand je pense qu’il y a encore des féministes qui se plaignent que les hommes ne s’investissent pas suffisamment dans leur rôle de père ! »


Une conscience qui s’émancipe


Si cette lecture a l’avantage de vous procurer une dose de bien être et de lâcher prise, sa prouesse, selon moi, réside ailleurs, en ce qu’elle m’a permis avec tantôt une dérision désabusée et arrogante, tantôt avec une légèreté presque primitive, de partir à la quête de mon identité à l’instant L de mon parcours, de me découvrir, de dresser un bilan égocentrique, en quelque sorte, et parfois de le déposer !

Pour les plus sceptiques, parce que contrairement à l’auteur je compte bien m’acharner à les convertir, tout du moins à les amener là où ils ne voient pas, je vous dépose quelques en-cas.

Dix euros la thérapie, très chers lecteurs, et envolés tous vos soucis… cela sonne comme un slogan plein de promesses un peu Place des Halles je vous l’accorde, mais vous ne serez pas déçus du détour et surtout pensez à voyager léger !


Et si malgré tout vous persistez à vous réfugier dans un stoïcisme désarmant, c’est qu’il faut vous faire une déraison.

Note: 4/5

mardi 7 janvier 2014

Morte La Bête - Lotte & Soren HAMMER


Je vous emmène à nouveau en virée littéraire mais cette fois ci restez bien cramponnés à vos claviers et écrans puisque la lecture que je vous propose nous invite à flirter (voire à copuler) avec l’Horreur humaine, et nous soulève le cœur de temps à autre.
Les âmes sensibles, les humanistes en herbe seront avertis et se confronteront peut-être au détour de cette intrigue à quelques contradictions existentielles concernant la condition humaine, le phénomène sociétaire et ses limites.
C’est dans un contexte politique français juste idéal que je viens insérer mon avis, la Réforme Pénale arrive à grands pas trainant derrière elle, timidement, son projet d’aménagement des peines et des solutions alternatives alors que des mouvements et groupuscules appellent de plus en plus à une justice privée.
C’est précisément sur ce sentiment d’impunité et ce désir de vengeance citoyenne que l’auteur s’est penché et nous a quelque part interrogés, sur fond d’un fléau social qui ne saurait continuer à être contenu par les autorités publiques davantage (ici au Danemark mais on pourrait tout aussi bien l’appliquer à notre schéma national), la pédophilie.


Une Délation à 4 mains ! 


Il m’appartient d’être un peu plus précise et de rétablir une vérité, je vous parlais précédemment de « l’auteur », tout simplement parce que le livre vous donne une impression de fluidité et de cohérence absolue, mais que nenni, cette œuvre dérangeante a bel et bien vu le jour sous une plume fraternelle.
Les auteurs, Lotte et Soren HAMMER ne sont rien d’autre en effet que frère et sœur, une histoire de famille (Sans mauvais jeu de mots) ; une connexité quasi gémellaire puisque ces derniers nous confie à travers un entretien livré à Actes Sud (l’éditeur), vivre dans le même immeuble.
Toujours très attachés à écrire et interpeller sur des sujets délicats, comme c’est le cas ici et pas des moindres, la pédophilie, ils ont su se renouveler au fil de leurs écritures tout en contrastant avec le côté polar, la mise en scène d’un personnage central et commun, l’inspecteur Konrad Simonsen.
Traduit dans plus d’une quinzaine de pays, autant dire que le succès de ce livre publié en France aux Editions Actes Sud, Collection Babel Noir en 2011, a été retentissant : le voile sur un tabou a été levé.

Quand le Justiciable se Fait Justicier… 


Si le cœur du bouquin a très vite fait d’annoncer la couleur et de vous déstabiliser, il en est de même pour l’illustration retenue en première de couverture, à savoir la représentation d’une petite poupée de chiffons d’enfant qui semble avoir été abandonnée là dans un coin de chambre, toute tristounette, dans un atmosphère sombre et secrète…

Sans doute le seul témoin des atrocités et sévices endurés par son propriétaire, premier glaçage de sang.
Moi qui suis d’ordinaire dotée d’une curiosité littéraire assez sordide si je puis dire (ne vous méprenez pas je ne me complais pas dans l’horreur et la perversité, bien au contraire), j’ai bizarrement longuement hésité avant mon passage définitif en caisse.
La peur de devoir sans doute essayer d’entendre deux sons de cloches, de ne pas me braquer devant l’ignominie de ces atteintes juvéniles, de prendre du recul.
Ce qui a finalement réussi à me convaincre de m’enfiler ces 500 pages intrigantes se complotait en quatrième de couverture :
Le jour de la rentrée, deux enfants découvrent un spectacle cauchemardesque dans le gymnase de leur école : cinq corps d’hommes ont été mutilés à la tronçonneuse avant d’être pendus au plafond.
L’inspecteur en chef Simonsen prend la direction de l’enquête. L’identification des corps est compliquée par leur état, mais l’ablation systématique des parties génitales ressemble à une signature.
Dès les premiers interrogatoires, l’étrange concierge de l’école tient des propos contradictoires et provocateurs.

Dans le même temps, un riche entrepreneur victime d’abus sexuels dans sa jeunesse lance une vaste campagne de communication pour dénoncer le laxisme de la justice danoise vis-à-vis des pédophiles.
L’opinion publique s’empare du débat, menaçant de parasiter l’enquête. Le concierge, de son côté, échappe à la surveillance de la police…


 Une Véritable Chasse à l’Homme ! 

Le décor est planté, une ambiance malsaine vous prend à la gorge dès les premières pages, vous délivrant brutalement cette fresque carnassière quasi démoniaque : Une mutilation grande nature offerte à la vue de tous tel un avertissement lancé aux prédateurs sexuels peu scrupuleux.
Personnellement je ne me souviens pas avoir réussi à déglutir avant l’arrivée des services de police sur les lieux du carnage, une adaptation cinématographique ne serait pas mieux parvenue à me nouer l’estomac et à me rendre nauséeuse.
Je le rappelle à ce stade de l’avis, ce livre n’est ni un brûlot ni une apologie faite au gore, l’horreur de la scène est simplement à la hauteur des souffrances étouffées et contenues de centaines d’êtres abusés, par un système politique les ayant dénigré.
De prime abord, on se laisserait tenter par se retour en arrière primitif, cette révolution de santé publique presque.
En référence au résumé, on nous parle d’une victime partant en campagne, plutôt sanguinaire, mais il s’agit bien de cela, les troupes sont galvanisées, on cherche à sensibiliser par tous les moyens, aussi odieux soient-ils, les pouvoirs publics étrangers… Une campagne de Terreur ??
Une Chasse à l’homme pédophile, rien de plus, un soulèvement de haine gigantesque, d’impunité totale à l’encontre de bourreaux souvent méconnus, mal appréhendés.
Difficile ici de ne pas faire transparaître son opinion, ce que parviennent admirablement à exécuter la Team HAMMER… « MORTE LA BETE » nous ramène à certains égards à une vengeance trop facile…
En effet comment ne pas se transformer nous même en monstruosité de la nature lorsque l’innocence et la pureté même de nos bambins ont été souillées et piétinées ?
Le lecteur est happé par la cruauté de cette vendetta, dégoûté par cette violence lâche faite aux enfants et dans ce climat tiraillé… se trouve rééquilibré, re stabilisé par ce personnage au sang froid et impénétrable, l’Inspecteur Simonsen qui lui sert en quelque sorte de curseur.

Les Bonnes Mœurs et L’Ordre Public Au Placard ! 


Le style est authentique, distant, on ne cherche pas à nous influencer dans l’une ou l’autre direction, c’est un simple constat que l’on nous jette à la figure et avec lequel il faut se dépêtrer tant bien que mal et avec le plus d’intelligence possible.
Les gens deviennent fous, la Justice privée est en marche et rien ne semble pouvoir l’arrêter, le crime ne choque plus, il devient une nécessité publique. On se déshumanise.
Et lorsque ce flot de haine et de désespoir a suffi à vous submerger, il est bon de faire une pause, de laisser le livre vous amener à vous poser la sempiternelle question des droits de l’homme, du respect de la vie d’autrui, voire même de l’assistance, et on ne parle pas ici exclusivement de celles des victimes.
Cet effroyable flash back, cette délation outrancière, cette horde de chiens enragés que l’on peut si facilement côtoyer nous interpelle et nous ramène quelques décennies en arrière… est-ce qu’on veut vraiment éradiquer ce fléau de cette manière ? Je ne le crois pas, aussi horrible soit-il.
Le livre lui-même est un débat constat et a eu moins le mérite de dénoncer la médiation politique de l’opinion publique, de lever les tabous en nous préservant de nous-mêmes, on jette nos fourches à mi parcours pour essayer d’attaquer le mal à sa source, en tentant autant que possible de le décrypter !


Conclusion


Je recommande chaudement ce livre même si je me doutes qu’a priori il ne fera pas beaucoup d’adeptes.
Les choses sont crues et c’est donc de cette manière qu’elles sont abordées il ne faut pas en avoir peur.
Il ne s’agit pas ici d’un plaidoyer pour les personnes atteintes de pédophilie (en imaginant qu’il ne soit seulement question de maladie), ni d’un appel aux armes pour les victimes, mais d’une confrontation morale et éthique dont on ne souhaite retirer que le plus constructif de nous-même.

dimanche 5 janvier 2014

Nature Morte - Louise PENNY


Cerf, Cerf !... Ouvre Moi!

I'm reading In the Rain
Week-end pluvieux oblige, la réouverture de la bibliothèque est proclamée.
Au menu aujourd’hui, une petite trouvaille fort sympathique que Relay© a mis sur mon chemin pour tenter de satisfaire mon impatience entre deux correspondances, les aléas du trafic… Oh joie !

Louise Penny, Un Caribou Lettré
De formation journalistique cette canadienne quinquagénaire s’est lancée fin des années 2000 dans l’écriture de plusieurs romans policiers.
Récompensée à maintes reprises par des prix prestigieux (Prix Agatha décerné quatre fois), il semble que la traversée outre atlantique de sa notoriété ne se soit pas faite sans encombre, n’ayant jamais entendu parler de sa plume jusqu’il y a quelques mois de çà.

Préliminaires bouquinesques
La première de couverture est un pur produit de la collection Babel Noir, aussi loufoque que dérangeante à l’image de l’intrigue qui s’y cache. 
L’association de l’intitulé « Nature Morte », peu engageant, et de l’illustration choisie inquiète, dérange, ses yeux de biche torves qui vous fixent m’ont à la fois rendu mal à l’aise et piqué d’une curiosité presque malsaine.

En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, on s’empresse de glaner quelques indices supplémentaires du côté de la quatrième de couverture qui nous révèle que …

Un dimanche d’automne, le jour se lève sur le charmant village de Three Pines, et les maisons reprennent vie peu à peu.

Toutes sauf une… La découverte dans la forêt du cadavre de Jane Neal bouleverse la petite communauté.
Qui pouvait souhaiter la mort de cette enseignante à la retraite, peintre à ses heures, qui a vu grandir tous les enfants du village et dirigeait l’association des femmes de l’Eglise anglicane ?


Un Cluedo Grandeur Nature
Promenons nous dans les bois pendant que le loup …
Dans une charmante bourgade située au cœur de la forêt québécoise donc, un événement aussi terrible qu’extraordinaire vient perturber le train-train quotidien de villageois planqués dans leur ennuyeuse et inlassable routine.
Une figure locale est retrouvée morte, sans aucune raison apparente, puisque gentille mamie un peu givrée et brave bête en supplément.
La méfiance s’installe rapidement et les commérages se répandent comme une nuée d’abeilles sur un pot de miel, la conséquence moins enviable d’une vie en communauté.
Tout le monde devient le voisin suspecté de l’autre, les vieux dossiers, un à un, refont surface tels des bulles de savon ; on suspecte avec hypocrisie, étiquette oblige !

Au Pays des Bisounours … Sanguinaires

Au fur et à mesure du récit, la fresque idyllique livre ses sordides secrets, les masques tombent et les visages qu’ils laissent entrevoir ne sont pas de toute beauté.
Chacun remue la vase croupissante du passé, rumine, se pare d’un habit de culpabilité bien trop encombrant et tape à l’œil.

Le lecteur tournoie dans cette fosse marécageuse et fini par perdre pied, Watson ne serait ici d’aucun secours, les suspects se font de plus en plus nombreux.
Jalousie, convoitise et orgueil s’épandent dans le cœur de Three Pines, qui s’ébranle et part en quête du mystère emporté dans la tombe par la défunte. Secret qui mérite que l’on aille jusqu’au bout pour être découvert puisque dépasse l’entendement tellement il n’est que bizarrerie saugrenue sortie tout droit d’un cervelet illuminé (mais je vous laisse ouvrir le paquet vous-même).
Une Nouvelle Ambassadrice du Rompol ?
En référence à l’intitulé du titre, certes Louise PENNY est une découverte des plus fameuses mais, à mon avis, loin encore de détrôner la grande maîtresse du « rompol », la grandiose Fred VARGAS.
A y regarder de plus près, elle a toutefois l’étoffe pour prétendre à s’incruster dans son sillage.
En effet, quelques ressemblances sont frappantes et il y a fort à parier que notre canadienne se soit inspirée de l’Ecole d’Agatha.
Première symétrie : Une farandole de protagonistes aux allures très théâtrales, un camaïeu de sensibilités et de névroses en tout genre.

Deuxième lieu commun : Cet attachement à un héros en charge de fidéliser le lecteur au fil des sorties littéraires. 
Tout comme Hercule Poirot ou Adamsberg, Armand Gamache se présente un visage d’autorité public assez hors norme, avec ses manies, ses obsessions, ses loufoqueries.
 
Sur ce point cependant, son charisme est loin d’égaler ses deux compères sus référencés.

Troisième ressemblance : La perpétration et mise en scène du crime ainsi que les motifs l’ayant justifié. 
La trame sympathique et bonne enfant de l’intrigue jongle avec l’atrocité des faiblesses humaines.
 
Le décalage entre cruauté et burlesque est parfaitement assumé et cohérent pour le plus grand plaisir du lecteur.

Là où Louise PENNY a su se distinguer résulte du fait que les péripéties à venir de notre inspecteur le ramènera sans cesse dans cette petite bourgade de Three Pines qui se veut sans histoires mais qui n’a visiblement pas fini de nous livrer ses secrets les plus sombres et vils. 
Je trouve çà plutôt futé et addictif, cela promet de jolies mésaventures encore.

Je vous recommande chaudement cette trouvaille venue des grands espaces !
En espérant vous avoir mis en appétit ... Bonne lecture à tous !

Note : 4/5

Un Jour, Philip Roth Sera Mort - Jean-Luc NATIVELLE


La Littérature, Une Marchandise Comme Une Autre

Le Vieil éclopé barbu a glissé dans ma chaussette un petit roman dévoré en une journée, alors pendant que c’est encore tout chaud et afin de faire connaitre davantage cette MaisonNantaise (Editions du Petit véhicule) qui se démène pour ouvrir une porte littéraire entre quelques talents tapis dans l’ombre et un public qui ignore jusqu’à leur existence, je dépose ici un énième avis littéraire.
Ironie du sort au regard du thème principal … Le message n’en sera que plus entendu !

Du Fil à Retordre…

(Pour ceux qui n’auraient pas lu mon avis sur La Traque, je vous remets ici la présentation de la vie de ces éditions qui sont chères à mon cœur).

Au pays des frasques et des calembours, une fourmilière régnait en maîtresse absolue.

Loin de vouloir se conformer aux us et coutumes de la profession et désireuse d'emprunter des chemins de traverses (dixit Luc Vidal, son président) afin de ne souffrir d'aucune pression mercantile, l'originalité de la maison résidait, excepté le personnage haut en couleurs de son fondateur, dans son procédé de fabrication.

En effet, exit entre ces quatre murs, les reliures classiques que l'on connait tous, ici le maître mot est "couture".
Et en avant pour un ballet de pelotes édulcoré.
Avec la reliure à la chinoise il est incontestable que l'expression "au fil des pages" reprend tout son sens.
 
Une idée tout aussi révolutionnaire qu'ancestrale, où, à l'heure de l'édition numérique, l'éditeur sort des sentiers battus pour réattribuer au livre sa seconde fonction, mais pas des moindres, ornementale et artistique.

*
Pour en revenir à nos moutons, c'est naturellement toute fiérote  d'avoir confectionné quelques exemplaires d'un ouvrage au suspense haletant et dont la physionomie en surprendra plus d'un, que je viens glisser ici mon avis.

Un Auteur Sous les Feux de la Rampe

Jean-Luc Nativelle, professeur de philosophie et écrivain, a publié plusieurs essais ainsi que des œuvres de fiction, dont Par Humanité, remarqué par Amnesty International.
 
Son troisième roman, Le Promeneur de la Presqu’île, a été récompensé par
 plusieurs prix littéraires dont celui des Lecteurs du Télégramme 2013.

Avec son petit dernier, Un Jour, Philip Roth Sera Mort, Jean-Luc Nativelle nous parle d’un revers de médaille qu’il connait bien, de coulisses peu engageantes du marché de la littérature, le sort des nègres et leur condition mais également de la qualité déclinante de ce que nous servent les Grands de ce monde.
La référence à Philip Roth dans le titre n’est autre qu’un clin d’œil de l’auteur à une littérature pleine, vraie, un hommage à un homme qui a décidé, peut être par découragement de laisser tomber la plume fin de l’année 2012. 

Une Transaction Diabolique

Paul Delambre fils, écrivain à la carrière fulgurante, a été retrouvé mort à son domicile ; tout indique qu’il s’est suicidé.
Mais Pascal Messager, qui se prétend son ami, entend rétablir quelques « vérités utiles ».
Une quinzaine d’années plus tôt, Messager, lui-même écrivain, vivait dans la frustration de voir ses romans refusés par les grandes maisons d’édition.
Résigné à vivre de petits boulots – lecteur, correcteur, écrivain public –il a reçu un soir une proposition qui allait changer sa vie : écrire un livre au succès assuré, et enfin être à l’affiche d’une référence sur le marché éditorial, les éditions Claude Garamont.
Pour Messager, l’heure de la reconnaissance avait enfin sonné.
Une consécration en demi-teinte car écrire pour un autre ne va pas de soi : le succès finit toujours par avoir un prix… Reste à savoir qui va le payer !

Pascal Messager, Le Témoin de L’Ombre


Si Jean-Luc Nativelle ne connait que trop bien les rouages pipés d’une industrie littéraire ogresse et que son parcours a été, à l’image de celui de son héros, semé d’embûches et de refus, il ne faut pas pour autant y voir ici quelques chose d’autobiographique.

Certes son travail se trouve d’autant plus empreint de crédibilité et d’authenticité, ayant été le témoin de ce qu’un livre édité dans des conditions marginales ne peut accéder aux sentiers ordinaires du marché du livre qu’après l’obtention d’un prix et donc d’une reconnaissance au préalable; preuve de l’aridité et de la stérilité du travail de certaines grandes Maisons.

Avec Un Jour Philip Roth Sera Mort, l’auteur met le doigt sur un fait de société déconcertant ainsi que sur notre médiocrité, notre inaptitude à porter un regard objectif et personnel sur l’art littéraire en l’occurrence.
Il serait dangereux et mal venu d’y voir ici une croisade ou une quelconque vendetta à l’égard des lobbies qui nous aveuglent et nous matraquent à coup de best-sellers prémâchés, Nativelle ne fait que souligner une triste réalité.

Le roman est à double tranchant, avec un style très incisif et des personnages aux caractères tourmentés et étoffés ; à côté de ce qu’on pourrait décrire comme la machinerie des Grands Méchants, il met en évidence la faiblesse de ces auteurs, appelés « nègres » (une appellation qui m’a toujours chiffonnée mais qui en dit long), prêts à se nier, s’oublier, parfois au service de la littérature, la vraie, parfois au service de leur narcissisme contenu depuis trop longtemps.

Une quête de reconnaissance par procuration… qui se révèle bien vite, comme c’est le cas dans ce roman, comme un pacte avec le Vilain.
Une histoire, un regard qui porte à la réflexion, qui chatouille notre curiosité et notre intérêt pour des écritures restées dans l’obscurité et qui méritent qu’on prenne le temps d’aller les débusquer !!

Une tourmente, un cercle vicieux qui va pousser les personnages dans leurs derniers retranchements...


Note: 4/5

samedi 4 janvier 2014

Corpus Christine - Max MONNEHAY


Le Côté Face d'Une Idyllique Illusion

« Collez-moi le canon d’un magnum sur la tempe, je tremblerais moins. 
 Enfermez-moi dans la chambre froide d’une morgue et laissez-moi vous dire que c’est du gâteau.
 Ce que je vis devait peser dans les cent vingt kilos et transpirait à grosses gouttes une eau malodorante.
 Ce que je vis était énorme.
 C’était ma femme ».

On ne peut pas le nier, Max Monnehay sait inévitablement comment attirer l’œil voyeur du lecteur, et ce n’est certainement pas pour me déplaire! 
Préliminaires : un climat comprimé, oppressant, de mal être obsédant sur fond d’ironie … je n’ai pu m’empêcher d’esquisser un sourire à la lecture de cette odieuse description de l’âme sœur.

Qui es-tu plume inquisitrice?!

Max Monnehay est un pseudonyme qui cache une jeune fille de 32 ans plus que charmante à la plume trempée.
Après des études de lettres, Max Monnehay entre au cours Florent. 
Elle le quitte rapidement pour se consacrer à la littérature.
En 2006, à l’âge de 25 ans, elle publie son premier roman, "Corpus Christine", chez Albin Michel, pour lequel on la compare déjà à Amélie Nothomb et qui lui vaudra le Prix du Premier Roman.

Voilà, c’est à ce moment pile, exact que mon choix s’est concrétisé et matérialisé par une transaction bancaire. 
Je n’oserais enlever l’attraction de la présentation (romantique de volupté) et du synopsis il est évident,à notre jeune auteure, mais la critique abondante venant placer ce prix littéraire sous la coupe de Nothomb m’a alertée. 
Non que je ne reconnaisse pas une certaine aisance d’écriture à notre Belge, japonaise de cœur, mais je ne me suis jamais sentie transpercée par ses encres, et me perd dans un style moyennement élaboré. 

Seul vrai coup de cœur: Le Robert des Noms Propres, pour ainsi dire, un des moins mis en lumière.

Tout cela pour en arriver au terme que la folie nothombienne ça va bien cinq minutes, que les critiquest ne viennent pas entacher Monnehay d’anonymat, à force d‘association à Amélie on en viendrait presque à oublier le nom de l‘héroïne… Et pourquoi Christine Corpus ne serait pas du monnehayien ? Un nouveau genre ? C’est-ce que nous allons avoir le plaisir de découvrir !

D’ailleurs, je dois reconnaître, en toute impartialité (^^), que les premières écritures m’ont davantage ramenée à La Métamorphose de Kafka plutôt qu’à une Métaphysique des Tubesà cet état de cancrelat, obligé par sa nouvelle condition profondément réductrice, abattu psychologiquement par sa propre diminution quotidienne, en état d’urgence, de survie permanent. Oui, j’avais d’abord pensé à une transposition de son mal mental en une illustration matérielle: dégradation corporelle. Mais l’histoire en fait joue sur les deux tableaux .. 

La déchéance de l’une entraînant presque inévitablement celle de l’autre.

Un Goût Délicieux de Jeu Interdit

Une intrigue sur fond de farce ?

Une intrigue, qui plus est qui se veut désirée, et ne se livre qu’au compte gouttes. Un procédé souvent utilisé pour semer le trouble et perpétuer l’envie chez le destinataire. 
On pose le décor actuel, final (?), pour doucement, remonter vers l’élément déclencheur. 
Un véritable processus par le biais duquel le lecteur se sent l’envie d’attraper la première loupe qui se présentera à ses paluches empressées pour mener son investigation … ou bien encore de jouer les psychanalystes.

Plus qu’un modèle de journal intime, on se sent ici pris par des mémoires … les derniers instants d’un malade en soins palliatifs, d’où l’émergence d’une poussée incontrôlable de voyeurisme malsaine, mais sans cesse entretenue … 
Un Goût de reviens-y !
Un dénouement bien sûr que je ne pourrais me permettre de révéler.. Sous peine d’enlever tout l’intérêt de ce genre de littérature… alors quelques sensations parsemées.


Un Homme, Notre homme, simple cobaye ou victime d’une chamade trop violente, pris au piège des ses p’tains aléas cardiaques, nous confie sa détresse, son impuissance face à Elle, face à Celle qui aurait pu faire de lui le roi du monde, mais qui n’a pas respecté les règles du jeu…

Toujours en toile de fond, ce progressif isolement social, la Bougresse rusée de surcroit, referme lentement et assurément son étau sur cet être, qui jadis lui inspirait tant de passion, avec une aversion totale. Et ce, de manière méthodique, en commençant, dans la plus grande intelligence, par le priver de tout moyen de communication avec l’Extérieur.
Un emprisonnement glauque et des plus sadiques, menée sous l’égide d’une illusionniste au talent admirable, perfide et puante d’hypocrisie.


Un climat austère emprunt d‘ironie, quasi pathétique voire complètement burlesque à certains égards, où se mêlent rage et désir. En effet, une étrange excitation persiste. 
Fut-ce un mensonge, cette histoire charnelle et passionnelle laisse des marques … et bien que notre « otage rachitique » se plairait fortement à déglutir sa haine à la figure de son bourreau au regard azur, son périnée ne s’en plait pas moins à hocher de la « tête » à la vision de ses sillons.

Verdict: Un paquet de nœuds à démêler sans modération !


Un style franc du collier, à la limite du répétitif, de l’insistant, mais comme il faut. On reste en haleine, toujours à la quête du pourquoi du comment de cette situation invraisemblable, des moyens que sa "chateresse" a pu mettre en œuvre, a pu sublimer pour avoir la main mise sur son existence et la réduire à néant, à une soumission presque idiote.

Et Si Je N'Etais Pas Ce Que Vous Pensiez ? (^^)

Quelques extraits ...

" Comment était-elle parvenue à masquer sa personnalité des années durant, calquant ses goûts sur les miens, s'extasiant devant ce qu'elle abhorrait, maudissant ce qu'elle adorait "
" Mon amour on a dû t'en faire du mal pour que tu te venges ainsi (...) Je suis le type qui t'a offert sa vie, prends mon cœur, caresse le ou piétine le. Et tu l'as piétiné, sale garce. Tu prends tout au pied de la lettre. C'était qu'une façon de parler, tu sais ".

Note:  4/5